Cahier des charges de lotissement : deux arrêts importants

Pour bien commencer cette année 2023, je propose de revenir sur deux arrêts, rendus par la Cour de Cassation en 2022 sur les cahiers des charges de lotissement. Ils ont été publiés au Bulletin, ce qui signifie qu’ils ont une certaine importance. Comme souvent en la matière, ils émanent de la 3ème chambre civile. A chaque fois, il s’agit d’une construction édifiée en méconnaissance du cahier des charges et la procédure est initiée par le voisin, qui sollicitait à la fois la démolition de l’ouvrage et l’indemnisation du préjudice qu’il estime subir.

Le premier date du 6 avril 2022 et porte le n°21-13891. Il tranche la question de la prescription d’une telle action, en distinguant les deux chefs de demande. Pour la Cour de Cassation, la demande de démolition est une action réelle immobilière, soumise à une prescription trentenaire, en vertu des dispositions de l’article 2227 du Code Civil. En revanche, la demande d’indemnisation obéit aux règles du droit commun. Elle est donc soumise à une prescription de cinq ans (article 2224 du même code).

L’ouvrage ayant donné lieu au litige était un abri à usage d’appentis et de local à vélos. Sa démolition emportait donc des conséquences limitées. Mais qu’en est-il pour un ouvrage plus important ? Par le passé, la Cour de Cassation s’est montrée d’une rigueur à toutes épreuves (voir, par exemple, l’arrêt du 21 janvier 2016, n°15-10566, publié au Bulletin et qui avait fait grand bruit, validant la démolition totale d’une extension). Mais les temps changent et la Haute juridiction contrôle de plus en plus le caractère proportionné de la démolition au regard de différents critères, dont l’existence du préjudice, son importance, ou la bonne foi de celui qui a construit.

C’est ce que vient illustrer, en matière de cahier des charges de lotissement, le second arrêt sur lequel je souhaite attirer votre attention. Il est daté du 13 juillet 2022 et porte le n°21-16407. Il ne s’agit plus, cette fois, d’un abri, mais d’un petit immeuble collectif de sept logements, construit après démolition d’une villa préexistante.

Et selon la Cour de Cassation :

« 7. La cour d’appel a constaté que, si la construction violait l’article 8 du cahier des charges du lotissement, dès lors qu’elle n’était pas implantée dans un carré de trente mètres sur trente mètres, le cahier des charges, qui n’avait pas prohibé les constructions collectives, autorisait la construction d’un édifice important sur le lot acquis par la SCI et que la construction réalisée, située à l’arrière de la villa de M. et Mme [U], n’occultait pas la vue dont ils bénéficiaient, l’expert étant d’avis qu’il n’en résultait pas une situation objectivement préjudiciable mais seulement un ressenti négatif pour M. et Mme [U] en raison de la présence, en amont de leur propriété, d’un ensemble de sept logements se substituant à une ancienne villa.

8. Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts. »

Est-ce un revirement de la jurisprudence en la matière ? J’aurais plutôt tendance à y voir une inflexion, assez logique au regard de l’évolution récente de la législation (voir, en particulier, l’article 1221 du Code Civil). Mais seul l’avenir le dira et il est probable que les demandes de démolition seront désormais appréciées au cas par cas, notamment en fonction de la gravité de la violation de la règle contenue dans le cahier des charges et de l’importance du préjudice causé à celui qui s’en prévaut.

Cela m’inspire au moins deux remarques. D’abord, cette décision ne constitue pas un blanc-seing, pour qui voudrait contrevenir à un cahier des charges : en la lisant avec attention, il apparaît que les dommages et intérêts versés par la SCI aux voisins ont dû être importants, puisque celle-ci fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir limité la garantie de l’architecte ayant effectué la maîtrise d’œuvre des travaux à la somme de 30.000 €. C’est donc que l’indemnité octroyée aux voisins, non précisée dans l’arrêt de cassation, est bien supérieure. Ensuite, cela induit certaines incertitudes dans un autre cas de figure : si ce n’est pas le voisin, mais l’ASL ou l’AFUL ayant pour objet de contrôler le cahier des charges qui agit en démolition. La logique voudrait qu’une demande émanant de l’Association Syndicale conduise plus sûrement à la démolition. En effet, à défaut, cela aurait pour résultat de la priver d’une partie de son objet, mais aussi, indirectement, d’encourager d’autres constructions illicites au sein du lotissement concerné. Là encore, cependant, seul l’avenir nous permettra d’en apprendre davantage…